Thomas.
1er jour (4 avril 2008)
Je bois mon dernier café avant le départ. Urs et Fab sont venus m'accompagner et m'apporter casque, gants et cuissette de cycliste. Pendant que nous déjeunons, je termine les derniers préparatifs et charge mes sacoches sur le vélo. Ca me fait drôle de les voir là. La veille, Fab m'a invité à un concert de Syd Matters à Lausanne. C'était juste ce qu'il me fallait.
Nous nous séparons après qu’Urs m'ait pris en photos, avec son téléphone portable, devant mon vélo et je me retrouve avec ma mère. Les adieux semblent plus difficiles pour elle, j'ai le regard déjà porté devant. Elle me donne les dernières mises en gardes que peut donner une mère à son fils, nous nous embrassons et elle ne me voit pas monter sur mon vélo et m'en aller. Voilà, je suis parti. Pour la première étape, je l'espère, d’environ mille kilomètres, sans préparation. La dernière fois que j'ai fait plus de vingt minutes de vélo doit remonter à quatre ou cinq ans. Je retrouve Thomas. Derniers réglages et c'est le départ. Il est onze heures.
Magnifique journée. Le soleil brille au milieu d'un ciel complètement bleu. On traverse le centre de Neuchâtel tranquillement puis nous longeons le bord du lac, ou nous croisons Laure avec un livre et son chien assise sur un banc. On s'arrête quelques minutes.
- Je ne croyais pas que tu partais vraiment à vélo.... Me dit-elle. Elle doit en être convaincue désormais. De toute façon, peu de gens doive me prendre au sérieux. Finalement, c'est la dernière personne que je vois à Neuchâtel. C'est drôle.
Nous repartons. Tout se passe bien. Les jambes sont là. La tête aussi. Et bien sur le soleil. A Grandson j’apprends deux choses. La première c'est que je vais avoir mal au cul, vraiment mal. On m'avait prévenu, mais tant que nous n'expérimentons pas les choses nous n'en prenons pas vraiment conscience. Et là, pour le coup, j'en prends effectivement conscience. La deuxième c'est que j'ai pris trop de choses avec moi, mes sacoches semblent trop lourdes. En passant devant des bureaux de postes j'envisage de m'envoyer un paquet à Barcelone. Tout ce poids risque de peser lourd à la longue, surtout que nous n'avons pas encore fait les provisions pour la route. Je décide cependant de continuer ainsi jusqu'à Aubonne.
Mercredi soir, Nath, m'a demandé " Quelle est l'objet que tu prendrais avec toi absolument, que jamais tu laisserais derrière ? ". Je n'ai pas su quoi lui répondre, et c'est là une question à laquelle j'aimerais trouver une réponse. Même si la réponse est simplement " Rien ".
Première leçon, donc : voyager le plus léger possible. Se débarrasser de tout poids superflu, le laisser derrière, ou peut-être lui faire prendre de l'avance.
Nous passons par La Sarraz et Cossonay, ou j'avais réalisé les photos du mariage de la sœur à Laeti. Ce sont des moments difficiles, avec quelques montées pénibles pour moi, et pour la première fois, déjà, je pose le pied à terre et pousse mon vélo, à l'image de la dernière montée vers Aubonne, infranchissable. Et comme depuis le début, Thomas semble tellement facile, sans la moindre trace de sueur et avec un coup de pédale qui m'arrache deux mètres à chaque fois. C'est frustrant. Mais j'ai le sourire, quand enfin nous arrivons à Aubonne, chez Bubu. La simplicité et la générosité avec laquelle nous sommes accueillis ici sont caractéristiques et à l'honneur de notre hôte, quelqu'un de vraiment attachant qui a su créer ici, une ambiance à son image.
Nous passons la nuit ici, et celle-ci est longue. Lorsque finalement je m'endors sur le canapé, nous sommes déjà, depuis quelques heures, le deuxième jour.
2ème jour (5 avril 2008)
Il est hors de question de reprendre la route aujourd'hui, et de toute façon nous nous réveillons bien trop tard, aux alentours de 19 heures pour l'envisager, alors nous décidons d'organiser un dernier souper, une dernière fondue...
Il y a avec nous, à part Bubu, Virginie, Fenek et L'Animal. Suite au repas nous attaquons une dernière partie de cartes qui entre rires et anecdotes, s'allonge sans que personne ne s'en rende compte jusqu'à cinq heures.
J'ai profité de ce séjour pour me débarrasser de plus de cinq kilos de matériel que j'ai prépare dans un carton et je demande à Bubu de me l'envoyer à Barcelone le lendemain. Ces cinq kilos devrait faire une sacrée différence. Avant de m'endormir je trouve encore la force de lire quelques pages de "L'axe du loup" de Sylvain Tesson, livre qui me tiendra compagnie durant la première partie du voyage.
3ème jour (le 6 avril 2008)
Nous repartons vers midi, après un passage au supermarché afin de faire le plein de provision pour quelques jours. Il fait de nouveau grand beau en ce troisième jour. Bubu, après toute son hospitalité, nous offre encore de quoi " subvenir à un cafard et à une déprime, à travers une bonne bouffe", nous dit-il. Il nous prend en photo et nous reprenons la route, laissant derrière nous Aubonne. Nous avons discuté pour organiser une virée à Majorque.
Tranquillement nous arrivons à Genève, après être passé notamment devant le siège de l'UEFA à Nyon, et où j'ai pensé à Ruben, et là, en face du jet d'eau nous faisons une pause. Il fait froid arrêté, alors je demande à Thomas s'il ne veut pas manger quelque chose de chaud, à l'un des stands qui longe le lac.
- Tu veux que je te refroidisse encore? Me dit-il avant de m'annoncer les prix, qui font leur effet. Alors ca sera biscuits, fruits et cigarettes. Je suis parti d'Aubonne avec trois paquets de clopes et en temps normal je devrais les avoir terminés avant le lendemain.
Premières photos à Genève. Je me rends compte que j'ai mis trois jours avant de faire une photo. Il faut que ca me revienne petit à petit, que ma peur, ma phobie disparaisse. J'ai pris Holga avec moi, ainsi que mon Nikon F6. Que de l'argentique. Choix de la lenteur, comme de faire ce trajet à vélo. Nous passons enfin la frontière, à St-Julien, nous voilà en France, et cette fois j'ai vraiment l'impression que nous sommes partis.
Pour notre première nuit dehors, Thomas trouve une clairière derrière une lisière d'arbre en bordure de route, tandis que la nuit s'annonce froide, quelque part entre Viry et Frangy. Le premier repas est une catastrophe. Nous n'arrivons pas à faire bouillir l'eau avec le petit réchaud, nous n'avons pas de sel, et la sauce achetée à Aubonne est infecte. Il va falloir apprendre à cuisiner convenablement car c'est ce que nous allons manger la plupart du temps. Vers quatre heures et demie, je me lève pour me rendre aux toilettes, immenses, et en sortant de la tante je découvre le champ recouvert d'un tapis blanc. Il a donc neigé. Il fait froid, près de 0 degrés, je suppose, mais en regardant le ciel j’entrevois une excellente nouvelle. Il est magnifiquement étoilé, il est puissant et beau, il devrait donc faire un temps magnifique dans quelques heures. J'hésite à rester un moment pour admirer le superbe tableau qui s'étale au devant et au dessus de moi, mais le froid ne me laisse que le temps de fumer une cigarette avant que je ne retourne dans la tante et dans le sac de couchage pour m'endormir aussitôt.
4ème au 6ème jour (du 7 au 9 avril 2008)
Je ne me suis pas trompé, le matin du quatrième jour est dépourvu de tout nuage, et le soleil pointe déjà lorsque je me réveil à huit heures. Mais la journée, après le réveil de la loutre Thomas, puis des rangements, commence par une longue descente, qui nous rappelle que malgré le soleil il va faire très froid. Note : par mauvais temps essayer de commencé la journée par une montée histoire de se chauffer.
Petit déjeuner sur un banc au milieu du village de Frangy. Thomas effectue des réparations à son vélo et nous poursuivons notre route en direction d'Aoste. Je contact Bubu pour m'assurer qu'il n'y a pas eu de problème avec le paquet contenant mes affaires et pour bavarder un peu. Je suis vraiment content de l'avoir connu.
Thomas est un traceur, à l'inverse de moi qui suis plutôt un contemplatif. J'avais déjà remarqué cela chez moi, lorsque j'apprenais la photo. Je ne suis pas un chasseur. Je veux aller lentement, m'arrêter ici et là si le cœur m'en dis. Pas pour une raison particulière, juste être là. Je pourrais même m'arrêter quelques jours à un endroit au milieu de nulle part, seul. Ce voyage n'est pas juste un défi physique, ca ne l'est même pas du tout, en tous cas pas le but principale. C'est, je le souhaite, le début d'une aventure. Thomas, lui, son but est d'arriver à Barcelone le plus vite possible. Il ne peut pas rester là, à "ne rien faire", pas encore, alors il trace. Et comme il a plus de force que moi, il va beaucoup plus vite. Je le ralentis, c'est sûr, et il irait beaucoup plus vite si je n'étais pas là, et il me pousse à aller plus vite car j'irais sans doute beaucoup plus lentement s'il n'était pas là. Chacun son rytme mais finalement ce n'est peut-être pas un mauvais compromis.
Pire que le froid c'est l'humidité. On peut facilement lutter contre le froid, je veux dire, nous ne sommes pas passés par des froids extrêmes, mais lorsque l'humidité réussit à s'introduire à l'intérieur de la tante cela est beaucoup plus difficile. La lutte est plus ardue, car une fois qu'elle vous a saisie elle ne vous lâche plus.
Avant d'arriver à Aoste, nous longeons pendant un long moment, le Rhône, sur une piste cyclable, et c'est un peu de magie qui nous tient compagnie. J'aimerais me poser là et faire que s'étire le temps, regardé la rivière s'écouler lentement.
Nous traversons des journées froides et pluvieuses en passant par Aoste, Montferrat, Voiron, Moirans, Tullins, Vinay, Romans, Valence, Livron, Loriol...et avant cela par Seyssel, Anglefort, Culoz, Belley...
A Seyssel, devant une percée du soleil, nous nous arrêtons au bord du Rhône pour reprendre quelques forces. En passant dans le village nous faisons remplir nos bouteilles d'eau dans un restaurant, et nous interceptons la conversation de trois personnes occupées à débarrasser un stand. Ils parlent poker. Une petite partie ce soir? Non, il n'y aura pas de partie.
La route jusqu'à Voiron est pénible, non pas à cause de la route elle-même, mais à cause de la météo, il fait froid et il pleut. Lors des descentes, avec mes gants "trois-quarts", les bouts de mes doigts sont gelés, et Thomas, lui, n'a pas de gants du tout. Je suis content d'avoir les habits que Laurent m'a filé, un jour avant mon départ, et comme c'est devenu une habitude, nous commençons la journée par des descentes. Comme ma route est toujours partagée avec le livre de S.Tesson, pendant ces moments je pense à sa traversée de la Sibérie, et ca m'aide à relativiser. Mais je pense aussi à ce qu'il dit au sujet de la lecture à emporter avec soi lors de voyages. Il encourage à emporter plutôt de la poésie, car, comme dans mon cas, on sent une petite pointe de ridicule en comparant ma petite expédition à la sienne. Mais il n'y a pas de comparaison à faire, et il n'y a rien à relativiser. Dans son livre, "l'axe du loup", il raconte comment il a refait, pendant huit mois, le long voyage de la Sibérie au Golfe du Bengale, en hommage aux évadés du goulag, à pied, à vélo ou à cheval, sur les traces de Slavomir Rawicz et de son livre "A marche forcée". Je n'ai pas lu ce dernier, Thomas l'a fait, mais en tous cas je conseil celui de S.Tesson.
A Voiron, nous effectuons un arrêt technique et de réchauffement. Je dois changer un plateau à mon vélo, cassé, et Thomas, lui doit changer sa roue arrière voilée. Quelques frais en plus, et c'est ce qui fera explosé le budget. Pour le réchauffement, nous buvons quelque chose de chaud dans un café, en attendant les réparations et que la pluie cesse.
Je laisse le plus souvent Thomas choisir les endroits ou poser notre tante pour la nuit. Je pourrais me poser n'importe où, sans me soucier forcément d'une certaine discrétion, lui, il a plus d'expérience, puisqu'il a déjà fait plusieurs expéditions similaire, mais plus longue.
Je ressens une belle sensation à faire la route ainsi, à vélo, lentement, sans montre, sans aucune idée de notre vitesse, sans savoir combien de kilomètres nous effectuons, sans itinéraire précisément défini. Une vague de liberté et une autre de bien-être m'humectent les lèvres. Et ca m'ouvre l'appétit. J'apprécie de faire la route avec Thomas, mais quelque chose en moi jailli, et bientôt, un de ces jours - quand? Je l’ignore- il me faudra partir seul. Et en pensant à cela, en m'imaginant être seul, je ressens de la crainte, mais surtout une certaine excitation.
Notre relation est plutôt froide pour l'instant. Nous ne nous parlons pas beaucoup. Thomas me donne l'impression de ne pas être dedans. Quelque chose semble le troubler, le fermer. Quelque chose plane entre nous, comme un abcès. Une tension invisible, presque imperceptible, mais qui se tient là, pesante. Et nous semblons ruminer chacun de notre coté. Rien n'est dit clairement. Je ne fais pas l'effort non-plu de communiquer. Nous sommes deux invalides de la communication qui partagent le même bitume.
Le sixième jour, qui doit nous amener à Valence (France), commence mal, pour moi. Dès les premiers coups de pédale, je sens que je n'ai pas de jambes. Il ne pleut pas et j'espère, alors, que la route saura faire preuve de compassion à mon égard. Mais ce n'est pas la route qui posera vraiment problème, même si elle est plate, rectiligne, ennuyeuse - nous semblons nous éloigner de rien et nous approcher de rien -. Le pire c'est le vent. Le pire s’est ces panneaux au bord de la route annonçant du foie gras par ci, par là, martyrisant notre estomac. Le vent donc. Je ne saurais mieux parler du vent que S.Tesson, et même s'il faut savoir proportion gardée, je me permets de lui emprunter ces quelques lignes : " La semaine qui se prépare va me coûter un genou en plus des larmes. C'est à cause du vent. Il se lève avec le soleil, il se nourrit de la lumière, il souffle du sud et ne faiblira pas pendant six jours. J'attache avec précaution mes réserves d'eau - il me reste six litres - et, tête baissée, je me lance dans ma charge contre le vent. On est toujours perdant à ce genre de tournoi. Non content de vous ralentir, le vent (pour peu qu'il soit contraire) est un fluide délétère qui rampe dans l'âme et le vide de son énergie, il s'immisce dans l'esprit pour en devenir l'unique préoccupation, il caresse le corps entier, indifférent à la haine que lui voue chacune des cellules de la peau, il sape l'élan vital de celui qui l'affronte. C'est le pire ennemi, le plus constant, suprêmement invisible. "Le vent est le soupir du diable", dit le proverbe chinois (inventé par mes soins pendants ces heures maudites)."
Et le vent est le plus souvent contraire.
Mais nous voulons arriver à Valence, car c'est notre point d'inflexion, en quelque sorte, car après Valence, c'est plein sud. Chaque coup de pédale, chaque mètre gagné à la route, avalé, nous rapprochera du sud, du soleil et du chaud. Le vent, cependant, nous retient, nous repousse et j'ai l'impression que nous n'atteindrons jamais Valence.
Je me souviens lorsque j'étais petit et que nous partions en vacances en Espagne en voiture. A l'époque, on ne pouvait pas prendre l'autoroute à Neuchâtel et ne plus la quitter jusqu'à Murcie, comme maintenant, alors mon beau-père passait souvent par Valence. Deux choses m'ont marqué lorsque nous passions par ici. La première c'est que nous nous perdions presque toujours. La deuxième était la laideur de cette ville. J'ai le souvenir d'une ville déprimante et sale. Saleté inscrite sur les pierres des immeubles. Une de ces villes que vous voulez laisser derrière vous le plus rapidement possible, de peur d'avoir envie de vous suicider si vous y traînez trop longtemps. Maintenant que je l'approche à vélo, qu'elle représente notre point d'inflexion vers le sud, par ces longs bouts droits interminables et avec ce vent qui nous retient, qui semble vouloir nous empêcher d'y entrer, je me mets à la haïr. Pourquoi a t-il fallu qu'elle se trouve sur ma route?
Mais il y a quelque chose d'autre. Que le vent mette tant de force à vouloir nous empêcher de l'atteindre doit cacher quelque chose. Comme si cette ville ne s'aimait pas, comme si, ne pouvant se regarder elle-même dans un miroir, elle voulait empêcher quiconque de la regarder. Petit à petit, c'est de la pitié que je ressens pour Valence, et je me dis qu'elle mérite peut-être de s'y attarder, d'y chercher à découvrir ces mystères, et elle doit bien avoir quelques beautés. Je me surprends, ainsi, à me dire qu'il faudra que j'y revienne.
Sylvain Tesson dit qu'à vélo nous ne pensons à rien, sauf à l'effort physique. Ce n'est pas mon cas.
Finalement nous entrons dans sa périphérie, ou nous dépassons trois bernois, également à vélo, le grand-père, le père, et le fils, un drapeau bernois hissé sur l'un des vélos. Ils sont beaucoup plus chargés que nous, et semblent avoir de la peine, enveloppés dans des anoraks de la tête aux pieds. L'un d'eux traîne même une petite remorque.
Nous n'entrons jamais vraiment dans Valence, nous la contournons, et à un moment, cela devient difficile de rouler à vélo, avec toute cette circulation. Nous passons devant un accident. Une voiture écrasée contre la barrière de sécurité, et je ne peux m'empêcher de penser à l'accident que nous avons eu Thomas et moi, au moi de mai de l'année passé, alors que nous rentrions d'Aubonne. Et je ne peux m'empêcher de penser à ce qu'il serait advenu de nous si nous étions passés par là un peu plus tôt, au moment ou la voiture rétrécissait contre la barrière. Nous, sur nos vélos, si léger, si frêles, finalement. Mais il faut chasser ces pensées, si non, nous posons le pied à terre et il n'en est pas question. C'est finalement peut-être au vent que nous en devons une. Et puis je porte sur moi la pierre du voyageur, que m'a offert Maral avant mon départ.
C'est ce jour-là que je fini mon dernier paquet de cigarette. J'ai tenu bien longtemps et ainsi considérablement diminué ma consommation de nicotine, ainsi que réduit mes dépenses. Dorénavant je passe au tabac à rouler, ce qu'il faudra que j'apprenne à faire. C'est aussi ce jour-là que j'annonce à Thomas que dorénavant nous ferons compte séparé. Je tiens vraiment à essayé de respecter mon budget, alors je décide de me rationner en quelque sorte. Mais pour cela je dois gérer ma nourriture et mes dépenses pour moi tout seul. Je ne peux pas le faire pour deux, et je ne veux pas lui demander de se rationner aussi.
Cette nuit, Thomas vomi. Après une soirée agréable, la première, un orage vient durant la nuit et Thomas se lève au milieu de celle-ci pour vomir juste devant l'entrée de la tante, en ayant réussit miraculeusement à éviter nos affaires.
7ème au 9ème jour (du 10 au 12 avril 2008)
Le septième jour nous avalons 130 km. Perrine m’avait donné les coordonnées de sa grand-maman près de Montélimar, ainsi que celles de sa tante à Montfrin, entre Avignon et Nîmes. Je me réjouis de passer voir sa grand-mère, à cause de ces fameux gâteaux au chocolat, dont Perrine a hérité la recette. A plusieurs reprises elle me l’a fait goûter, et ils étaient toujours excellents, mais il paraît que rien ne vaut les originaux. Mais malheureusement elle n’est pas là, alors nous décidons d’aller jusqu’à Monfrin, et de contacter Nathalie, la tante de Perrine, afin de lui rendre une petite visite, si elle accepte de nous accueillir.
C’est la première journée que nous passons seuls, chacun de notre coté. Parce que Thomas va plus vite, il me distance et lorsqu’il s’arrête pour m’attendre, nous ne nous voyons pas quand je passe à sa hauteur alors je continue ma route en pensant qu’il est devant.
Sans cartes je me trompe de chemin et je prends la direction d’Orange. Me tromper de chemin me permet de par Mornas, jolie petit village avec une vieille forteresse taillée dans la pierre sur une falaise en surplomb. Je m’arrête ici, pour me promener un moment dans les rues, prendre quelques photos et boire un verre à la terrasse d’un café, en faisant le plein d’eau et en apprenant à rouler mes cigarettes. Seul, je me serais arrêté ici pour la nuit, mais je reprends le vélo, car après avoir pu recharger mon téléphone portable je réussis à joindre Thomas et nous nous sommes donnés rendez-vous à Avignon.
Je reprends, donc, la route, seul et survient ma première et seule alerte physique. Ma cuisse gauche me lance des cris d’alarmes, une vieille blessure semble se réveiller à nouveau, alors je m’arrête et m’asperge d’eau froide. En France, dans les cafés et restaurant ils ont un robinet d’eau comme pour la bière et l’eau en sort vraiment fraîche. J’attends quelques minutes en espérant que ca passe car je ne peux pas continuer comme ca. Mais la blessure semble se rendormir, alors je repars. Juste une alerte, il ne me faudra pas trop forcer par la suite.
Je retrouve Thomas à Avignon après avoir traversé toute la ville, et nous partons en direction de Nîmes. J’appelle Nathalie, la tante à Perrine, et elle est d’accord de nous recevoir pour la nuit, à Montfrin.
Il fait nuit lorsque nous arrivons dans ce petit village, et sommes accueillis par Nathalie et Patrick. La maison est magnifiquement typique de la région, toute en pierre, avec fleurs et plantes recouvrant une partie de la façade. Nathalie est tailleuse de pierre et tout autour il y en a une collection de toute sorte. L’intérieur n’est pas complètement terminé, nous prévient-elle, et il y règne un magnifique petit bordel qui rend le lieu vivant et chaleureux. J’adore cet endroit à la première minute et je pense à Perrine, en me disant qu’elle aussi doit aimer être ici.
Nous pouvons enfin prendre une douche qui nous transforme en hommes nouveaux, et quitter nos habits de cyclistes. Autour d’un repas et de quelques verres de vins, que Nathalie et Patrick nous servent, nous bavardons et faisons connaissance, mais la soirée est ternie par un méchant téléphone que reçoit notre hôte et qui la met de mauvaise humeur. Mais cela se dissipe vite et nous continuons de refaire le monde, dans la bonne humeur. Nous passons ici un agréable moment, et je les remercie encore pour leur hospitalité et leur gentillesse. Nous disons au-revoir à Nathalie, car elle ne sera plus là à notre réveil et allons nous coucher. Le lendemain nous sommes réveillés par Patrick, qui doit s’en aller travailler assez vite, alors nous partons un peu hâtivement, non sans avoir eu le temps de boire un café.
Nous reprenons la route, qui nous fait traverser des vignes, par une magnifique lumière de printemps. Nous faisons une petite journée kilométrique, laissant derrière nous Nîmes. Après Lunel, nous approchons de Frontignan, pays du Muscat. Je me mets à rêver de la visite d’une cave. Nous partons direction la plage, vers Frontignan-Plage, pour voir la mer pour la première fois de notre voyage et sur le sable nous faisons notre repas. Puis nous partons direction Sète où nous nous arrêtons pour que Thomas puisse aller dans un cybercafé consulter ses mails, pendant que je me promène dans la ville et me pose sur une terrasse. Le livre de S.Tesson, terminé, et alors qu’il a été inondé malheureusement de lait, après que la bouteille se soit renversé dans ma sacoche, je lis dorénavant « Demian », de Hermann Hesse. Livre très approprié. Le prix de la boisson à la terrasse me coûte près d’une journée sur la route.
Je le retrouve et nous repartons en direction du cap d’Agde. Mais avant de sortir de Sète, nous avons un début de discussion. Nous repartons et longeons la mer par une petite route droite et plate puis, tout à coup, je m’arrête, l’appelant, pour reprendre la discussion. Pendant plus d’une heure, nous restons assis sur le sable, en regardant la mer, à parler. La conversation d’abord tendu, prend une direction plus personnelle et plus profonde. L’abcès est crevé. Et comme un magnifique signe, le soleil ne nous quittera plus jusqu’à notre arrivée. Nous achetons une bouteille de vin, et décidons de faire une petite fête ce soir-là. Nous prenons direction Agde – et non cap d’Agde-, et quittons ainsi la mer. En quittant la route principale, après le village, nous passons devant un terrain de paint-ball, et un peu plus loin se trouve une petite maison en pierre, en ruines et remplie de détritus. C’est ici que nous campons, malgré l’idiotie et la paresse des gens qui polluent tout endroit ou ils passent. Est-il juste si difficile de ne pas laisser traîner du verre, du plastique et toute cette merde partout en pleine nature ? A la lueur de notre premier et dernier feu nous vidons la bouteille, qui malgré la fatigue ne nous saoul pas – nous aurions du en prendre une autre –.
Le reste du chemin se fera dans une ambiance détendu. On apprend souvent des choses que l’on sait déjà. Et il est préférable de dire les choses, de les expliquer, bref de communiquer, plutôt que de laisser le problème ou le doute enfler et nous tirailler. En parlant, souvent on se rend compte, que le problème n’est pas insurmontable. Ce n’est pas que pour lui que je dis cela, c’est principalement pour moi. Mais comme je l’ai déjà dis, quand deux handicapés de la communication font route ensemble, ces situations semblent inévitables.
10ème au 11ème jour (du 13 au 14 avril 2008)
Après Agde, Vias et Béziers, nous arrivons à Narbonne, direction Perpignan. Cette dernière route, par la nationale est droite, mais pas plate. De longues montées, succèdent à de longs bout plats qui eux-mêmes viennent après des descentes toutes aussi longues que les montées. Mais de nouveau le vent. De nouveau le vent de face. Existe-t-il d’ailleurs un vent favorable ? En descente je dois fournir des efforts pour avancer, alors le reste devient vraiment difficile. C’est probablement le pire passage que nous avons affronté durant ce périple, à coté duquel, l’arrivée sur Valence, était de la rigolade. Et dans ces moments, il est vrai que l’on ne pense pas à grand-chose d’autres qu’à maudire ce vent et cette route.
Nous dormons un peu avant Perpignan et le lendemain matin, le 14 avril, le onzième jour, nous déjeunons comme il faut dans une croissanterie de la ville. J’essaie de joindre Adeline une copine originaire d’ici mais sans succès. Nous repartons non sans avoir assisté à une scène ou deux clients se font refouler pour, semble t-il, une ardoise de mille euros. L’argent, toujours l’argent.
Ce jour-là, nous avalons 104 kilomètres de bitume afin d’arriver à Gerona. Le moment fort de la journée est la montée du col du Perthus, entre quatre et six kilomètres d’ascension, sur une belle route pour faire du vélo. Le col est difficile pour moi mais je me sens bien, en forme, motivé, et j’éprouve un énorme plaisir à grimper, à mon rytme, avec comme objectif de réussir à le faire sans poser le pied à terre. J’y parviens, et j’ai tout loisir, lors de l’énorme descente qui s’en suis, de savourer ma réussite, mon exploit….
Là nous nous perdons à nouveau, Thomas, pensant avoir une bonne avance -pas tant que ca finalement- s’arrête pour passer à la banque, et je passe à ce moment-là. Ne le voyant pas je pense de nouveau qu’il est encore devant, et je passe ainsi la frontière. Voilà l’Espagne.
Je fonce à vive allure pour essayer de le rattraper, puis je me rends compte que nous avons du nous manquer, alors je fais des pauses pour l’attendre, au bord de la route, le livre de H.Hesse comme compagnon. Finalement, je quitte la route vers la fin de Figueras, pour tenter de trouver un téléphone et de l’appeler, mais je ne peux pas le joindre, car son numéro est dans mon natel, et je ne peux l’allumer, alors je trouve un bar pour le recharger, mais pas moyen de le joindre. Décidé à terminer seul, je rejoins la national, et au moment ou je rejoins la route, Thomas passe devant moi.
Nous contournons Gerona et sur un des grands ponts que nous traversons, un paysage magnifique s’offre à nous, illuminé par une lumière d’orage. Nous nous arrêtons et je prends quelques photos.
Ce soir-là, le dernier sur la route, nous décidons de manger et boire à la santé de Bubu. Nous nous arrêtons quelque part juste après Gerona et trouvons un petit restaurant de routier, enfumé comme peuvent l’être les bars espagnols. Après un apéritif, nous passons dans la salle à manger, et découvrons que le menu est un buffet libre. Pour trente euros, nous faisons un festin et mangeons bien assez pour compenser les dix jours précédents, et faire des provisions pour les dix suivants, en buvant deux bouteilles de vin. A ta santé Bubu, et merci encore.
Dans l’obscurité nous trouvons un terrain vague derrière une station service ou nous passons notre dernière nuit.
Araceli.
12ème jour (15 avril 2008)
Le dernier jour s’annonce bien. Nous approchons de la fin de cette aventure à vélo. Pendant tous le voyage j’aurais voulu aller plus lentement, prendre plus le temps, mais depuis deux jours, alors que l’arrivée se fait de plus en plus présente, j’ai envie d’arriver au plus vite, d’en terminer. Mais d’en finir en beauté.
Nous roulons une heure ou deux ensemble, puis à nouveau nous nous perdons. A nouveau je me retrouve seul, mais cette fois pas question de tenter de se retrouver. Nous arriverons ce soir, chacun de notre coté. C’est ainsi.
Sur la route, au milieu de nulle part, surgit parfois un chemin qui part dans la forêt, et là se trouvent des demoiselles de joie. L’image est assez surprenante et surréaliste.
Je me trouve aimanté par ma destination et je roule bien sans trop d’effort, sous un beau soleil. Cependant, sans prendre garde, je me dirige vers Blanes, puis Lloret de Mar, ou je me rends compte que je suis en train de remonter vers le nord. Je fais demi-tour et cette petite ballade m’aura couté vingt kilomètres et une heure de plus. Mais si vingt kilomètres ne sont rien sur prés de mille, si une heure n’est rien sur douze jour, à quelques heures de la fin, cela représente quelque chose.
Les derniers kilomètres se font par la côte. Belle façon d’en finir. A Calella, j’aperçois Barcelone pour la première fois, au sortir d’un virage. Pas distinctement, mais je distingue ses formes, floues, noyées dans une lumière bleuté. J’entrevois les cheminées de Badalona, et au fond, Montjuic. Après Calella c’est Canet de Mar, puis Mataró.
Ici je m’arrête, pour téléphoner à ma cousine Nena -Araceli-, car elle travail ici, et je tiens à la voir. Je tiens à ce que ce soit la première personne que je vois. Elle quitte son travail et me rattrape sur la route, me dépasse en voiture et nous nous arrêtons. Elle est belle et radieuse. Je suis content de la voir. Elle me déleste de mes sacoches et je repars, léger, en direction vers Premiá de Mar, ou habite ses parents. Ma tante me prépare à manger, (les meilleurs œufs aux plats que je n’ai jamais mangés). Nous restons là à parler, je raconte mon voyage, puis ma cousine arrive avec son copain. Alberto, son frère, nous rejoins aussi. C’est lui qui me portera mes sacoches. Je l’accompagne jusqu’à sa voiture, dans un petit terrain vague en terre, et là se déroule une scène un peu surréaliste.
Nous sommes accueilli par quatre enfant, la plus âgée dans les dix-douze ans, et sommes assaillis de questions : « T’habite ou ? Nulle part ? T’es un vagabond alors ? Tes parents t’aiment plus ? Tu viens d’où avec ton vélo ? T’es fou, toi. » Et tout en posant ces questions, ils me dévisagent, scrute mon vélo comme si c’était la première fois qu’ils en voyaient un. Je les prends en photos et ils me prennent en photos. En repartant, ils courent derrière moi en me saluant et en me souhaitant bonne chance.
Il me reste vingt kilomètres que je fais en longeant la plage, jusqu’à la ville. Il fait doux, la lumière est belle, et l’arrivée prend des allures quelque peu magiques. Je prends le temps de l’apprécier. Petit à petit, le voile se lève sur la ville et les formes se drapent de plus en plus de détails. Aux portes de la ville, je descends du vélo et prend le temps, assis sur le sable, de profiter de cet instant.
Lentement, j’entre dans la ville qui m’a vu naître, celle qui la première m’a portée vers la mer.